un texte résumé très intéressant des interventions des sociologues.
A lire et à retenir.
http://emiliechauve.yagg.com/2012/11/11/ce-quon-peut-retenir-des-auditions-de-la-commission-des-lois-pour-le-projet-de-loi-sur-legalite-des-droits-en-5-points-1ere-seance-jeudi-8-novembre-2012/
Ce qu’on peut retenir des auditions de la Commission des lois pour le projet de loi sur l’égalité des droits, en 5 points (1ère séance, jeudi 8 novembre 2012)
11 novembre 2012
Les sociologues Irène Théry, Martine Gross et Virginie Descoutures, à la demande de la Commission, ont présenté chacune un exposé long de 20 à 30 minutes. Comme un certain nombre de thèmes se recoupaient, j’ai décidé de réorganiser en un seul bilan les points qui me semblaient les plus importants.
1) Le sens du mariage dans notre société
Le mariage n’a pas d’essence intemporelle, il est l’institution historique par excellence, qui se transforme au cours du temps pour exprimer l’idéal d’une société. L’enjeu symbolique d’une loi sur le mariage est donc très fort : quel idéal veut-on exprimer ?
Le sens du mariage civil a été bouleversé depuis sa création en 1792. À l’époque, il est l’institution de la filiation, il donne un père aux enfants. Hors mariage, pas de famille : les filles-mères et les bâtards sont des parias sociaux.
Le sens du mariage va changer du tout au tout au cours des siècles suivants.
Jalons :
- 1912 : on autorise la recherche en paternité
- 1972 : égalité des droits entre enfants légitimes et enfants naturels
- 1978 : double responsabilité des parents sur les enfants lors d’un divorce
- 2002 : loi sur la coparentalité
- 2005 : abolition de la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle.
En 2005, le mariage n’a donc plus de rapport avec la filiation (qui se fonde désormais sur elle-même) : il est devenu l’institution du lien de couple. Ce qui explique qu’une majorité de Français soient favorables à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels (la notion de « couple » ayant été remodelée par le pacs).
2) Le modèle de filiation dans notre société
Nous sommes les héritiers d’un modèle de filiation non pas biologique, comme on le prétend (puisque durant plus d’un siècle les recherches en paternité étaient interdites), mais matrimonial : l’enfant doit avoir un seul père, une seule mère, pas un de moins, pas un de plus.
Dans ce modèle, la même personne joue sur trois niveaux, le niveau biologique (« être né de »), le niveau juridico-symbolique (« être fils de ») et le niveau social (« être élevé par »).
Ce modèle est évidemment, et a toujours été très distinct de la réalité : même en 1792, le père juridique pouvait en fait ne pas être le géniteur.
Ce modèle a été mis en question au XXe siècle, en plusieurs étapes :
L’adoption d’enfants (1966) : les cas où le géniteur et l’éducateur ne sont pas la même personne se multiplient. Mais la société ne l’assume pas : on organise l’adoption comme un mime de la procréation et l’on gomme le nom du géniteur, décision dramatique pour les enfants concernés.
L’ouverture de la PMA aux couples hétérosexuels : géniteur et parent ne se recouvrent pas mais là encore tout est fait pour masquer cette différence. On voit là que l’accusation faite aux homosexuels de mensonge est infondée et se retourne puisque précisément les homosexuels sont ceux qui ne peuvent pas entretenir ce mensonge-là.
On est donc actuellement dans un modèle pseudo-procréatif, qui a montré ses limites, et où peuvent être parents uniquement ceux qui, dans une fiction, peuvent mimer la procréation pour entrer dans le cadre unique qu’on accepte. Il suffit dès lors de changer le paradigme, d’accepter qu’il y a une différence entre le fait biologique, le fait juridique et le fait social, pour que l’homoparentalité soit plus facile à accepter.
3) Le sens de la revendication des homosexuels
La rhétorique anti-discriminatoire ne justifie pas assez la revendication d’égalité car il y a 20 ans, cette revendication n’existait pas. Le phénomène des familles homoparentales s’est développé depuis 15 ans ; auparavant, les homosexuels avaient des enfants dans des familles hétérosexuelles et vivaient une sexualité clandestine (voir le personnage de Saint-Loup chez Proust).
Il faut répondre aussi aux gens qui seraient favorables à une égalité de droits pour les homosexuels, mais sans l’emploi du terme « mariage ».
Le sens de cette revendication est ailleurs : c’est que le « mariage » (à la fois le terme et la cérémonie), permet, pour reprendre le terme de Foucault, de « dé-spécifier » les homosexuels, de ne plus les considérer comme une espèce à part, mais comme prenant part, comme tout un chacun, ni plus ni moins que les hétérosexuels, à tout un questionnement, non tant sur la sexualité que sur le sexe, et qui concerne tout le monde : qu’est-ce qu’un homme ? qu’est-ce qu’une femme ? Qu’est-ce que le masculin ? Qu’est-ce que le féminin ? Il est aberrant de traiter ces questions en spécifiant les homosexuels car elles transcendent les groupes et concernent l’humanité tout entière.
4) La situation des familles homoparentales, et en particulier du parent « non-statutaire »
Quand on étudie l’homoparentalité on note une grande diversité des situations. Il est possible de les diviser en deux groupes, selon les représentations qui ont présidé au projet parental :
- les parents pensent qu’il est préférable pour un enfant d’être élevé dans un seul foyer par deux personnes qui l’aiment ; la présence d’un tiers est vécue comme complexe : dans ce cas on choisit l’adoption, ou la PMA avec donneur inconnu à l’étranger.
- Les parents pensent que l’enfant doit avoir un père et une mère : dans ce cas on choisit plutôt la coparentalité.
Le problème majeur, dans l’absence actuelle de cadre juridique, est celui du parent « non-statutaire », c'est-à-dire celui qui n’est pas le parent biologique : il n’a à l’heure actuelle aucun droit, ce qui est non seulement une souffrance pour lui et pour l’enfant mais encore un problème dans la vie quotidienne (école, voyages, santé) ; aucun droit, surtout, en cas de décès du parent biologique.
Le cas des femmes est plus développé par une des sociologues : la mère non-statutaire est soumise à une angoisse démultipliée : non seulement il est toujours difficile d’être mère (même pour les femmes hétérosexuelles, qu’on juge toujours plus responsables d’un problème que le père), mais elle est en plus doublement discréditée, du fait de sa sexualité, et du fait qu’elle n’est pas reconnue comme mère (alors même que la maternité est la valeur féminine par excellence dans notre société). En cas de décès de la mère biologique, on lui retire l’enfant, non parce qu’elle est une mauvaise mère mais parce qu’elle est lesbienne. Ces mères ont donc une tendance à surjouer la maternité pour compenser ce manque de reconnaissance.
5) Pourquoi il faut ajouter la PMA au projet de loi
En l’état, le projet de loi délivre un message contradictoire, peu lisible pour la société : on prétend que les homosexuels sont égaux en leur permettant de se marier et d’adopter, mais on entérine l’inégalité en ne leur permettant pas l’accès à la PMA. Les opposants à la loi vont évidemment se saisir de cette contradiction : on encourage ainsi l’homophobie décomplexée.
De plus, ce qui n’est pas encadré par la loi laisse cours aux pratiques arbitraires, notamment à la discrétion des médecins, qui peuvent refuser de suivre une femme ayant bénéficié de la PMA à l’étranger, ou la suivre, mais alors illégalement. On encourage aussi une forme de discrimination sociale : la PMA à l’étranger coûte cher.
L’adoption peut sembler, de loin, la manière la plus simple de fonder une famille pour des homosexuels mais en fait il est clair que l’homophobie, au niveau international, fermera toutes les portes.
E. C.
Lien vers la vidéo des auditions :
http://www.assemblee-nationale.tv/chaines.html?media=3584