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12/03/2012
La maman ratte et le secret du plaisir sexuel
En étudiant le câblage nerveux sexuel des rats, un chercheur vient de découvrir pourquoi, dans les sociétés où l'on masse le bébé entièrement, sans éviter les zones génitales, et où l'on laisse les enfants libres d'explorer leur corps lorsqu'ils grandissent, il y a moins de problèmes d'impuissance ou d'anorgasmie.
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Le nerf pudendal, qui commande l'orgasme, ne consiste pas en un simple câble reliant la colonne vertébrale aux organes génitaux. Il déploie en réticule comme un bas résille qui aurait été tissé par une araignée minuscule… On l'appelle le "voile d'Aphrodite" et il reste à ce point invisible au regard que les chirurgiens en déchirent forcément une partie lorsqu'il passent le bistouri dans la région pelvienne. Voilà peut-être en partie pourquoi certains hommes souffrent d'impuissance après l'ablation de leur prostate: il est presque impossible d'accéder à cet organe, situé tout au fond d'un entonnoir osseux, sans abîmer au passage ce système nerveux si complexe dont les mystères commencent seulement maintenant à être révélés…
Après plusieurs années d'enquête, passées à rencontrer des neurobiologistes, des sexologues, des psychologues, des gynécologues, des chirurgiens spécialisés dans les traumas medullaires, des savants passionnés de femme fontaine et des experts en sexualité tout terrain, Elisa Brune publie enfin dans La révolution du plaisir un concentré des dernières découvertes en matière de plaisir… Ouvrage phénoménal qui ouvre de nouvelles perspectives sur, entre autres, la façon dont nous devrions rééduquer notre corps et notre esprit pour être enfin capable d'en jouir. Parmi les révélations les plus étonnantes de ce livre, il y a celle qu'Elisa Brune nomme "le voile d'Aphrodite", ce réseau de nerfs à la finesse arachnéenne qui «emballe toute la cavité abdominale avant de se rassembler pour aboutir au gland ou au clitoris. Il est tellement fin qu'il est impossible de le voir à l'oeil nu ou même à la loupe. Il faut y aller au microscope. Autant dire qu'on est encore très loin de pouvoir tenir compte de cette structure lors des interventions chirurgicales».
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C'est en allant interviewer Jacques Bernabé, docteur en biochimie, co-fondateur du laboratoire PelviPharm spécialisé dans la recherche sur le plaisir et l'incontinence, qu'Elisa Brune a appris l'existence de ce mystérieux voile d'Aphrodite et la non-moins troublante découverte que voici: ce câblage extrafin ne devient opérant que si, dès le plus jeune âge, les êtres qui en sont pourvus se touchent ou se font toucher les organes génitaux. Il y a des nerfs qui restent endormis si on ne les stimule pas. Chez les rats du moins, c'est ainsi que cela fonctionne (et il fort probable que leur réseau nerveux soit très proche du nôtre). Elisa Brune raconte ainsi la genèse de cette découverte si fondamentale pour nous. «Si l'on retire les bulbes olfactifs dans le cerveau de la ratte, elle devient insensible aux odeurs et perd le comportement de nettoyage des petits (une femelle normale nettoie les organes génitaux de ses petits avant et après la miction). Les mâles qui sont issus de ces mères là deviennent impuissants et ont un comportement sexuel déficient. Quand on les autopsie, on constate que le nombre de neurones qui contrôlent la zone génitale est fortement réduit. Ils n'ont pas été clblés correctement parce qu'ils n'ont pas été stimulés au bon moment».
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Jacques Bernabé ajoute: «Le parallèle est audacieux, mais il mérite d'être pensé: il existe des sociétés où il n'y a pas de tabous sur les organes génitaux des enfants, où on les masse entièrement, où on les laisse se toucher et s'explorer librement, parfois même on les masturbe. Chez nous, cette forme d'empreinte sensorielle par les adultes est impensable, et on observe une asymétrie importante entre les garçons, qui ont découvert et manipulé leurs organes génitaux librement, et les filles qui n'ont pas pu se masturber. De là, on peut avancer l'hypothèse que certaines femmes ne sont pas câblées comme elles pourraient l'être. Je postulerais même que c'est vrai à la fois sur le plan physique et sur le plan psychique. Les femmes ne sont absolument pas éduquées pour pouvoir expérimenter leur capacité orgasmique, et donc celle-ci reste inhibée».
La révolution du plaisir féminin : Sexualité et orgasme, d'Elisa Brune, éd. Odile Jacob.