[Mère porteuse : article du Monde 30 juin 2009]

http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/06/30/ma-grossesse-mais-pas-mon-bebe_1213417_3214.html#xtor=AL-32280184

Citation :

Reportage
"Ma grossesse, mais pas mon bébé"
LE MONDE | 30.06.09 | 15h14 • Mis à jour le 30.06.09 | 20h04
STOCKPORT (GRANDE-BRETAGNE) ENVOYÉE SPÉCIALE

lle tente d'attraper Jaimes, mais il s'échappe dans les bras de sa mère dans un éclat de rire. "J'ai le coeur brisé !, plaisante Tina Lamont en mimant le désespoir. Quand je pense que tu as passé neuf mois dans mon ventre ! Si j'avais su qu'un jour tu me bouderais." La mère de Jaimes, Michelle Hymers, embrasse son fils en lui montrant Tina du doigt. "Eh, un peu de respect, c'est ta tummy mummy" (ta maman porteuse) !", explique-t-elle en souriant à son fils de 20 mois.

Tina Lamont, Michelle Hymers et leurs enfants sont réunis dans une petite maison de briques rouges de Stockport, dans la banlieue de Manchester. Difficile d'imaginer deux femmes plus dissemblables : les cheveux tirés en chignon, Michelle porte une longue jupe beige et des escarpins bleu marine. Moulée dans un T-shirt noir, Tina a des mèches carmin, des ongles rose bonbon et un piercing sur la langue. Sur son bras, trois tatouages : les prénoms de ses trois enfants, Brooke, Halli et Caden.

Jaimes n'y figure pas. "C'est normal, je l'ai porté mais ce n'est pas mon bébé !, explique-t-elle. Je m'en suis vraiment rendu compte le jour où l'on a implanté les embryons de Michelle et Martin dans mon utérus. Je suivais leur progression sur l'écran vidéo du médecin, et je me disais : c'est ma grossesse, mais pas mon enfant. J'ai eu de l'affection, de l'attention, de la bienveillance pour lui, mais pas de sentiments maternels. C'était très différent de mes grossesses passées."

Michelle Hymers et Tina Lamont se sont rencontrées en 2006. Cette année-là, Michelle et son mari, Martin, cherchent une mère porteuse : après la naissance de leur fils Robert, en 2000, Michelle a dû subir une ablation de l'utérus. Grâce à une fécondation in vitro, plusieurs embryons du couple ont été congelés en 2001 mais, en 2006, la clinique leur annonce leur destruction : en cas de gestation pour autrui, ils ne peuvent être conservés plus de cinq ans. La clinique interroge la haute autorité de bioéthique, les journaux racontent leur histoire, les embryons sont finalement conservés.

Tina, qui a envie de devenir mère porteuse, entend parler du couple infertile par une amie. "Tina m'a appelée, on a parlé pendant presque deux heures ! raconte Michelle, 36 ans. Elle est très chaleureuse, très ouverte, on avait l'impression de se connaître depuis des années." Quelques jours plus tard, les deux femmes se retrouvent dans une aire de jeux : Michelle est venue avec son fils Robert, Tina est là avec Brooke, Halli et le petit Caden, qui n'a que 6 mois. Le courant passe, rendez-vous est pris pour un dîner avec les maris.

Tina, qui est coiffeuse, sort tout juste d'une grossesse. "J'avais envie de recommencer, mais je ne voulais plus d'enfants !, raconte cette jeune femme de 26 ans. J'adore être enceinte, sentir l'enfant bouger dans mon ventre, accoucher : c'est vraiment une expérience géniale. Dans ces moments-là, je suis en pleine forme. Ça fait rire mon père, il m'appelle la machine à bébés !" Le mari de Tina, qui est agent commercial, est moins enthousiaste, mais accepte.

Commence alors la rédaction de la convention : le déroulement de la grossesse est prévu dans les moindres détails. Le contrat précise le nombre de tentatives d'implantation, la présence de Michelle et Martin Hymers aux échographies et à l'accouchement, un dîner mensuel entre les deux couples. Il tranche également un point délicat : à qui revient la décision d'interrompre la grossesse ? "En cas de problème, c'était à eux, pas à moi, de vivre avec un enfant handicapé, précise Tina Lamont. C'était donc à eux de prendre la décision d'avorter."

L'accord prévoit une rémunération pour la mère porteuse : Martin, qui est informaticien, et Michelle, qui a cessé de travailler depuis la naissance de Robert, contractent un prêt afin de verser 10 000 livres sterling (11 700 euros) à Tina Lamont. Contrôlée par un juge, cette somme est censée couvrir les frais médicaux, dépenses de transport, garde d'enfants et les vêtements de grossesse. Mais, dans cette histoire comme dans beaucoup d'autres, le "dédommagement" est nettement supérieur aux frais : il constitue de facto une rémunération.

Pour Tina Lamont, le pactole de Martin et Michelle est bienvenu : depuis la naissance de Caden, qui n'a que 6 mois, elle n'a pas repris le chemin des salons de coiffure. Aujourd'hui séparée de son mari, elle vit essentiellement des allocations familiales et de l'aide sociale. Elle attend que Caden ait 4 ans - l'âge de la scolarisation à plein temps - pour chercher de nouveau du travail. "L'argent de Michelle et Martin m'a aidée, c'est sûr", admet-elle aujourd'hui avec une certaine gêne.

Une première tentative d'implantation a lieu en décembre 2006. Michelle accompagne Tina à la clinique pendant que Martin garde les enfants. Un mois plus tard, les deux femmes se retrouvent pour un test de grossesse. "On était fébriles, mais il était positif !, raconte Michelle Hymers. Je l'ai annoncé à Tina et on a explosé de joie toutes les deux en même temps. J'avais vécu sept ans de tracas et d'attente, mais l'implantation avait réussi du premier coup. On était toutes les deux aux anges."

Tina Lamont entame alors une "drôle de grossesse". "Je disais à mes enfants que je portais le bébé de Michelle parce que son ventre était cassé. Je ne cherchais pas de prénom, je ne préparais pas de chambre, un peu comme si j'attendais un neveu ou une nièce." Michelle Hymers prend régulièrement des nouvelles et garde les enfants de Tina pour qu'elle puisse se reposer. En mars, une échographie révèle que Tina Lamont porte des jumeaux, mais l'un d'eux décède au sixième mois. "Ça a été très dur, raconte la mère porteuse. J'étais effondrée. Je suis restée avec ce bébé mort dans mon ventre jusqu'à la fin de la grossesse, j'avais peur d'accoucher chez moi."

Lorsque la jeune femme met Jaimes au monde, Michelle Hymers est à ses côtés, Martin attend dans le couloir, le mari de Tina garde les enfants. "Les médecins n'ont pas voulu que je voie le jumeau décédé, mais j'ai tout de suite pris Jaimes dans mes bras, raconte Michelle Hymers. J'avais du lait grâce à un traitement, Tina m'a aidée, et nous l'avons nourri à deux. Nous avions deux chambres contiguës, nous nous rendions visite tout le temps !" Après trois semaines de soins, Jaimes sort de la clinique avec ses parents : ils font immédiatement un saut chez Tina pour présenter le bébé aux enfants.

Jaimes fêtera bientôt ses 2 ans. Six mois après sa naissance, les magistrats de Stockport ont, après une enquête et l'audition des intéressés, rédigé un jugement faisant de Michelle et Martin Hymers ses parents. "Tina n'a plus de liens légaux avec lui, mais elle restera à jamais quelqu'un à part pour nous et pour Jaimes, note Martin Hymers. Nous la voyons souvent, elle fait un peu partie de la famille, comme une marraine ou une tante. C'est quelqu'un à qui on ne pourra jamais dire : tu ne verras plus Jaimes."

Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 01.07.09

c'est une belle histoire.....
ha la France pays des libertés et des droits de l'Homme...quand on s'ouvre un peu aux autres on se rend compte à quel point notre pays est en retard pour certaines choses......

(soupir) c'est tout à fait ça..